vendredi 15 janvier 2010

La sphère de l'Art.

- Tu n'as sans doute pas envie d'entendre ce que je vais te dire mais, à mon avis, ton projet, il ne tient pas la route.
Richard ne bronche pas. Il serre juste un peu plus fort la canette de bière. Le métal lâche un craquement qui en dit long sur la pression que les doigts lui font subir.
- Ton projet est trop référentiel. Tu restes dans la sphère de l'art comme tous les cons qui s'encroûtent. C'est le fléau de l'art contemporain : les oeuvres ne parlent qu'aux initiés, au petit monde des collectionneurs et des curateurs.
- Tout ce que tu me dis là, je le sais.
- Alors, pourquoi est-ce que tu perds ton temps comme tous les autres à regarder ce que les artistes contemporains pondent ? L'art ce n'est pas la messe, il ne s'agit pas de respecter la liturgie. L'art, c'est la vie, putain !
Il lâche sa phrase avec un tel enthousiasme qu'il est obligé, aussitôt, de se taire pour laisser respirer le silence. Les mots sont si lourds parfois qu'il vaut mieux les laisser s'écraser sur le sol.
- Tu en as encore beaucoup, des platitudes comme celle-là, à me balancer au visage ?
Léon sourit. Il ne voulait pas vexer Richard mais il n'a pas pu s'en empêcher. Il faut qu'il trouve un peu mieux... Qui sait, en cherchant bien, peut-être.
- Si tu veux vraiment décoller, moi je n'ai qu'un conseil à te donner : laisse tomber tout ce que tu sais de l'art et poses-toi la question de ce qui pourrait faire sens pour les gens aujourd'hui.

ANCION Nicolas, L'homme qui valait 35 milliards, 284 pages, éditions Luc Pire


À mes yeux, cette théorie est vraie et valable également dans le domaine de l'Architecture.
Le créateur d'aujourd'hui est tellement imprégné de son activité qu'il ne peut parfois plus concevoir que le reste du monde n'est pas capable de considérer son oeuvre de la même façon que lui.

Parler de lumière, de couleurs, de matières, de volumétrie, de modularité ou de références à telle époque, tel architecte, tel mouvement ou tel événement, que sais-je d'autre encore, c'est bien joli mais comment ceux qui n'ont pas un minimum de bagage culturel artistique et architectural - et sans doute ceux-là sont-ils nombreux - peuvent-ils se rendre compte de tout cela ? Comment un bâtiment peut-il être considéré comme une réussite si seuls les initiés sont capable d'en faire état ?

Dès l'entrée aux études, on plonge l'étudiant architecte dans un monde, une sphère de l'art complètement introvertie et on l'assomme de théories et de notions fondamentales de l'architecture - des questions d'équilibre, de contexte,... - qui, certes, à la réflexion sont généralement logiques, indéniables et "universelles"... Mais quel sens ces notions peuvent-elles bien avoir pour le monde extérieur à tout cela ?
Comment rendre l'architecture appréciable au yeux de tous?
En posant des écriteaux aux entrées de chaque édifice remarquable?...
Pas très convaincant.

Cet extrait présente une multiplicité d'éléments remettant en cause la philosophie de l'art, que l'on pourrait par extension prendre en compte dans le milieu architectural, notamment cette question d'accessibilité de l'Art, mais également celle du "respect de la liturgie".

Sans même considérer les parties purement techniques de l'Architecture, serait-il envisageable qu'en restreignant la question du respect de la théorie - des normes, des moeurs, des valeurs, appelez cela comme vous le voudrez - aux aspects artistiques restreints de ce domaine, il n'y ait réellement plus lieu de suivre la moindre règle préétablie?

L'Art, serait-ce l'expression de la conception personnelle du Beau dénuée de toute contrainte, de tout édit, de manière à personnifier les fantasmes du moi intérieur en toute et parfaite liberté?
Ou bien serait-ce plutôt, comme l'Art l'est généralement considéré comme tel au travers des "Académies", l'expression de la Beauté acceptée comme telle par une majorité, ce qui inclurait le refus, la négation d'un idéal personnel mais celui d'une communauté?

En résumé, l'Art doit-il traduire une volonté individuelle, ou collective?

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